LE BATI ET LES INFRASTRUCTURES A L’ÉPREUVE DES PHÉNOMÈNES CYCLONIQUES ATYPIQUES – Partie 1 : Faire face aux intensités extrêmes des aléas cycloniques

La saison cyclonique 2017

Un contexte défavorable qui risque de se complexifier

Dans un contexte actuel de dérèglement climatique, il faut sans doute désormais s’abstenir de parler d’intensité « anormale » de l’aléa, mais bien d’intensité extrême pour les phénomènes les plus violents et dévastateurs. Pour les phénomènes atmosphériques comme les cyclones, la « normalité » aura sans doute encore évolué au cours de la décennie 2020-2029. Les experts des questions climatiques et météorologiques prévoient en effet une intensification des ouragans en lien avec la montée en température des océans. Dans ce tableau général plutôt inquiétant continueront à figurer des évènements atypiques qui présentent des risques accrus pour le bâti et les infrastructures. Ces évènements sont atypiques parce qu’ils se distinguent assez clairement des « normales » et des « moyennes », notamment par l’intensité de certains aléas qu’ils contiennent ou par leur façon de se dérouler.

C’est avec de telles prévisions que les scientifiques et les professionnels du secteur de la Construction doivent s’accorder sur les données de base à prendre en compte pour dimensionner les constructions et autres ouvrages qui vont, un jour, devoir tester leur capacité de résilience face à des phénomènes brutaux, impitoyables et imprévisibles. Dans le même temps, les sociétés humaines doivent tenir compte de leurs réalités, il faut pouvoir construire à des coûts acceptables dans des lieux qui ne sont pas toujours les plus favorables à l’implantation des enjeux.

L’équation de l’équipement des territoires insulaires des Petites Antilles n’est donc pas simple à résoudre.

Un classement qui ne prend que partiellement compte des aléas à l’œuvre dans les ouragans

Dans tous les bassins, les phénomènes dépressionnaires atmosphériques, quel que soit leur nom, sont classés en fonction de la vitesse des vents soutenus mesurés en bordure de leur centre dépressionnaire. Pour les bassins Atlantique et Pacifique Nord-Est, il s’agit du vent moyen mesuré sur 1 minute à 10 m du sol. Dans le bassin Pacifique Ouest ou Océan Indien Sud-Ouest, il s’agit du vent moyen mesuré sur 10 minutes à 10 m du sol. Sur le bassin Océan Indien Nord, il s’agit des vents soutenus sur 3 minutes. Dans tous les bassins, les cyclones ne sont pas classés en fonction des rafales de vent qui peuvent être jusqu’à 50% plus intenses que les vents soutenus.

L’échelle de mesure généralement utilisée est l’échelle de Saffir Simpson qui détermine une catégorie de cyclones 5 pour lesquels les vents soutenus dépassent 70m/s ou 249 km/h. Des vents soutenus bien supérieurs à ces valeurs sont observés ou modélisés à postériori dans les ouragans majeurs.

Ce sont bien entendu ces cyclones de la catégorie 5 qui théoriquement sont susceptibles de générer les plus grandes catastrophes, pour les individus, le bâti et les infrastructures. Plus les vents subis sont forts, plus les dégâts aux constructions sont potentiellement élevés. Le retour d’expériences de la saison cyclonique 2017dans le bassin Atlantique qui a regroupé plusieurs sous-projets de recherche autour du projet global TIREX (1) a montré que les principaux dégâts aux constructions étaient survenus dans les zones où les vents soutenus avaient été supérieurs à 60 m/s soit 216 km/h.

Note (1) Transfert des apprentissages des retours d’expériences scientifiques pour le renforcement des capacités de réponse et d’adaptation individuelles et collectives dans un contexte de changement climatique – Petites Antilles du Nord – saison cyclonique 2017.

https://anr.fr/Projet-ANR-18-OURA-0002

Les dégâts ne sont cependant pas uniformes sur un secteur géographique donné, les retours d’expériences, notamment ceux de la saison cyclonique 2017, ont montré que les conditions de site (orographie et rugosité) ont une importance déterminante pour les vitesses de vent effectivement mesurées ou reconstituées à postériori par les modèles numériques. La qualité du bâti est bien entendu également vitale pour l’importance des dégâts, elle est liée aux choix initiaux faits, à la qualité de la réalisation et de l’entretien de ces ouvrages.

La nature des débris situés à proximité des construction et susceptibles d’être mis en suspension par les vents extrêmes est aussi d’une grande importance. Ces débris créent en particulier des dégâts considérables aux menuiseries extérieures mal protégées.

Même s’ils sont beaucoup plus étendus que les tornades, les cyclones n’intéressent que des zones géographiquement limitées de chaque territoire impacté avec des vents d’intensité représentant un danger pour le bâti ou certaines infrastructures. Plus on s’éloigne du centre dépressionnaire, moins les vents sont en principe violents, mais certains quadrants comportent des vents plus violents que d’autres (généralement le quadrant Nord-Est pour les phénomènes dans le bassin Atlantique). Autre caractéristique, les vents sont multidirectionnels dans les ouragans et une construction qui aura été sur le chemin de l’œil du cyclone aura subi des vents violents dans toutes les directions.

 

 

Dans les règlementations paracycloniques régionales qui traitent l’aléa vent, on définit en amont une vitesse de vent de référence à laquelle on applique des coefficients réducteurs ou multiplicateurs en fonction de l’environnement proche de l’ouvrage calculé. La définition de cette vitesse de référence du vent diffère sensiblement de la manière dont on détermine l’évènement de référence pour le risque sismique ou même pour le risque inondation. Dans ces derniers cas, on choisit en principe l’évènement historique le plus intense pour déterminer le niveau de risque contre lequel on veut se prémunir. Ce n’est pas ce qui est fait pour le vent cyclonique, puisque, dans le bassin Atlantique, c’est une base de données HURDAT (HURricane DATa), comprenant l’ensemble des phénomènes recensés depuis plusieurs décennies, qui a permis statistiquement de déterminer les vitesses du vent de référence par territoire. De surcroit, les concepteurs ont encore une certaine liberté de choisir les catégories de terrain telles que le prévoit l’annexe nationale française à l’Eurocode 1. 4 qui traite des charges de vent sur les structures. D’ailleurs, bien des situations peuvent venir, au cours de la vie de la construction, ou en cours d’évènement cyclonique, altérer voire supprimer les masques dont cette dernière bénéficiait à un moment donné.

Même si les modes de calcul prévoient des coefficients de sécurité, notamment pour la résistance des constructions aux rafales de vent, les ouvrages ne sont en principe pas conçus et construits pour ressortir totalement indemnes du passage des phénomènes les plus violents.

Les phénomènes d’intensification explosive sont très inquiétants pour les enjeux humains qui n’ont pas toujours la réaction adéquate face à l’évolution rapide de la situation météorologique, mais ils n’ont que peu d’incidence sur la capacité d’une construction à faire face à l’évènement. Le confortement paracyclonique n’est en effet pas une question qui se règle dans les heures précédant le passage d’un phénomène. Tout au plus peut-on mieux protéger des points fragiles comme les ouvertures vitrées ou les zones vulnérables à la montée des eaux. Mais dans tous les cas, quelle que soit l’intensité du phénomène annoncé, on a intérêt à le faire.

 

Les autres aléas qui comptent

L’intensité des pluies qui accompagnent le phénomène cyclonique déterminent le niveau de risque de survenance d’aléas annexes comme les inondations de plaine ou torrentielles, les glissements de terrain, coulées de boues ou autres chutes de rochers. L’intensité des pluies est fluctuante et très variable d’un phénomène cyclonique à l’autre et d’une zone à l’autre dans un même phénomène et elle n’est absolument pas corrélée à l’intensité des vents au sein du phénomène.

 

 

Pour le bâti et les infrastructures littorales l’intensité du choc mécaniques des vagues est déterminée par la période des houles cyclonique, la hauteur des vagues et l’importance de la marée et de l’onde de tempête. Les ouragans qui se sont développés très au large des terres habitées sont susceptibles de générer des houles cycloniques catastrophiques pour les enjeux littoraux.

Enfin l’activité électrique est très variable dans les phénomènes cycloniques et elle ne dépend absolument pas de la taille du phénomène ou de l’intensité des vents. Le risque kéraunique est cependant susceptible de générer de véritables catastrophes pour certaines constructions sensibles.

 

A venir :

Partie 2 :  Les impacts de la durée d’exposition aux aléas, le cas de l’ouragan Dorian en 2019

Partie 3 : Conséquences des ouragans à trajectoire « anormale », le cas de l’ouragan Lenny en 1999