Dorian, Sandy, Maria, Hyacinthe
La durée d’exposition aux aléas est très variable selon les systèmes
A l’approche des phénomènes cycloniques de terres habitées, on s’intéresse beaucoup aux intensités notamment à celles du vent qui sont plus facilement prévisibles à court terme. Les outils numériques, combinés aux observations satellitaires et physiques, avions chasseurs de cyclones, houlographes…permettent aussi d’estimer l’intensité d’autres aléas, les pluies extrêmes, la houle cyclonique, l’activité électrique.
On fait malheureusement moins attention à la durée pendant laquelle l’aléa pourrait se manifester, même si par exemple les vigilances météorologiques prévoient un début et une fin d’épisode.
Pour le bâti et les infrastructures, la durée pendant laquelle ces ouvrages vont être soumis à des contraintes extrêmes fait néanmoins une différence considérable sur l’importance des dégâts constatés en fin d’évènement.
La durée d’exposition résulte de plusieurs facteurs
La durée exceptionnelle de manifestation d’un aléa cyclonique peut avoir plusieurs origines :
- La taille de l’ouragan qui se déplace. Certains ouragans dans lesquels les vents de force cyclone et tempête sont mesurés sur des zones très étendues ont des tailles impressionnantes. Ce fut en particulier le cas de l’ouragan Sandy en 2012 qui détient à ce jour le record de taille pour le bassin Atlantique.
L’ouragan Sandy avec ses 1800 km de diamètre le 29 octobre 2012
Dans ce système des vents de force cyclone ont été mesurés à 280 km du centre dépressionnaire et des vents de force tempête à plus de 780 km du centre dépressionnaire. Dans les cas où, en plus, ces systèmes monstrueux en taille ne se déplacent pas très vite, les enjeux se retrouvent impactés sur des durées tout à fait exceptionnelles.
- La faible vitesse de déplacement de l’ouragan ou les cas où il stagne. Les phénomènes qui se déplacent lentement ou qui stagnent sur des territoires habités soumettent les enjeux à des conditions extrêmes pour les aléas vent, pluies et submersion marine. Le cas de Dorian en 2019 sur les Bahamas du Nord est resté dans les mémoires. Lorsque Dorian s’est formé dans l’océan Atlantique au cours de la dernière semaine d’août 2019, ce système a eu une vitesse de translation assez classique de16 à 24 kilomètres/heure. Les dégâts causés par l’ouragan sur Porto Rico et les Iles Vierges ont été mineurs, en raison d’une intensité plus faible, mais aussi grâce à une durée d’impact limitée. Le système s’est intensifié à l’approche du nord de l’archipel des Bahamas, mais il a surtout ralenti à 2 km/h avant d’aborder les îles Abacos, puis il a ravagé pendant 40 longues heures l’île de Grand Bahama. L’île a littéralement été rasée de la carte, par des vents violents soufflant à plus de 300 km/h, 1200 mm de cumul de pluie en deux jours et une submersion marine record de 7 m dans une île où le point culminant est situé à 24 m de haut. Le cadre bâti de ces îles a payé un prix considérable au passage prolongé de Dorian.
Dans tous les bassins, les scientifiques constatent une diminution des vitesses moyennes de déplacement des phénomènes cycloniques. C’est un phénomène qui n’est pas aujourd’hui scientifiquement expliqué mais qui est plutôt inquiétant.
- Les phénomènes dont les trajectoires exposent les enjeux aux aléas pendant une durée inhabituelle. Les trajectoires Sud-Est / Nord-Ouest pour les ouragans impactant les territoires insulaires des Petites Antilles sont très pénalisantes. La trajectoire de l’ouragan Maria qui a dévasté l’île de la Dominique le 18 septembre 2017 est un exemple de ces trajectoires favorables à l’aggravation des dégâts au bâti.
Trajectoire de l’ouragan majeur Maria qui a dévasté l’île de la Dominique en 2017
S’agissant de l’aléa pluies extrêmes, le cyclone Hyacinthe de janvier 1980 dans le bassin Océan Indien Sud est resté dans les annales. C’est un système qui a fait deux boucles et trois passages à proximité de l’île de la Réunion entrainant pendant 15 jours des cumuls de pluies record… et des dégâts considérables aux infrastructures routières, aux réseaux et au bâti. Le cumul de pluie sur 12 jours a dépassé beaucoup de moyennes annuelles à la Réunion. Ce système détient encore deux records du monde de cumul de précipitations, les cumuls sur 10 et 15 jours, avec respectivement 5 678 mm et 6 083 mm enregistrés au cratère Commerson à 2310 m d’altitude.
Impacts sur le cadre bâti
L’optimisation des moyens de calcul et de dimensionnement des ouvrages a généralement entrainé une réduction de la quantité matière constitutive de ces éléments d’ouvrages. Cette évolution rend sans doute ces éléments d’ouvrages plus vulnérables aux sollicitations encore qualifiées aujourd’hui d’exceptionnelles, mais qui seront de plus en plus fréquentes à l’avenir.
On sait cependant que la durée longue d’exposition à certains aléas cycloniques peut entraîner des conséquences diverses :
- Des charges mécaniques liées au vent (pression dynamique entre autres) et à l’eau (risque torrentiel et choc mécanique des vagues) dépassant les seuils des contraintes de calcul à état limite ultime (ELU), entrainant donc des destructions partielles ou totales d’éléments d’ouvrages,
- Des infiltrations d’eau catastrophiques, surtout lorsque vent et pluies extrêmes se combinent dans un phénomène,
- Des phénomènes d’érosion, de déchaussement de fondations, des mouvements de terrain, parfois catastrophiques pour le cadre bâti.
Pour être pertinentes, les réflexions sur la résilience du bâti et des infrastructures aux phénomènes atmosphériques en général devraient donc systématiquement intégrer des durées d’exposition aux aléas encore référencées comme exceptionnelles ou improbables aujourd’hui.
Comme l’a humblement reconnu Michael Leavitt, secrétaire d’état à la santé et aux services sociaux du gouvernement Georges Bush Jr., après le désastre lié à l’ouragan Katrina en août 2005 : « la plus grande leçon que m’a enseigné l’ouragan Katrina, c’est nous devons désormais penser à l’impossible, parce que parfois l’impossible se produit ».
A venir
Partie 3 : Conséquences des ouragans à trajectoire « anormale », Le cas de l’ouragan Lenny en 1999 dans les Petites Antilles