LE BATI ET LES INFRASTRUCTURES A L’ÉPREUVE DES PHÉNOMÈNES CYCLONIQUES ATYPIQUES – Partie 3 : Les trajectoires «anormales» des phénomènes cycloniques, un facteur aggravant des catastrophes

Hyacinthe, Lenny, Omar

 

Vents cycloniques : les trajectoires atypiques concernent les mêmes territoires et ne peuvent donc pas être considérées comme un facteur aggravant

Bien que les phénomènes cycloniques soient classés en fonction de la vitesse des vents en bordure de leur centre dépressionnaire, ce n’est pas cet aléa qui cause le plus de victimes. Pour le cadre bâti, le vent peut être très destructeur, mais d’autres aléas « cycloniques » sont aussi à l’origine de dégâts considérables aux constructions et infrastructures.

Le vent cyclonique est par nature multi directionnel. Les cyclones sont des phénomènes atmosphériques dans lesquels le vent chargé d’humidité et d’électricité tourne autour d’un centre dépressionnaire. Dans l’hémisphère nord, donc dans le bassin Atlantique, les cyclones tournent dans le sens contraire des aiguilles d’une montre. C’est l’inverse dans l’hémisphère sud, par exemple pour le bassin Océan Indien sud où se trouvent les îles de La Réunion et Mayotte.

S’agissant des dégâts générés par les vents extrêmes et leur corollaire, les objets en suspension dans ces vents, les risques sont liés à la trajectoire et à la zone couverte par les vents extrêmes, que la trajectoire soit classique ou atypique.

 

L’impact de la trajectoire très particulière du cyclone Hyacinthe – La Réunion 1980

Le cas de ce cyclone dans le bassin Océan Indien sud a déjà été évoqué dans la partie 2 de cet article sur les phénomènes cycloniques atypiques.

S’agissant de l’aléa pluies extrêmes, le cyclone Hyacinthe de janvier 1980 dans le bassin Océan Indien Sud est resté dans les annales. C’est un système qui a fait deux boucles et trois passages à proximité de l’île de la Réunion entrainant pendant 15 jours des cumuls de pluies record… et des dégâts considérables aux infrastructures routières, aux réseaux et au bâti. Le cumul de pluie sur 12 jours a dépassé beaucoup de moyennes annuelles à La Réunion. Ce système détient encore deux records du monde de cumul de précipitations, les cumuls sur 10 et 15 jours, avec respectivement 5 678 mm et 6 083 mm enregistrés au cratère Commerson à 2310 m d’altitude.

 

C’est donc bien la trajectoire « improbable », tout à fait atypique de ce cyclone qui fut directement à l’origine des dégâts considérables observés dans l’île de la Réunion.

 

L’ouragan Lenny de novembre 1999

L’ouragan Lenny est l’un des phénomènes cycloniques les plus atypiques de l’histoire de la météorologie pour le bassin Atlantique. Il est connu comme l’ouragan qui avança à l’envers puisqu’il eut en effet une trajectoire ouest-est, extrêmement rare pour le bassin.

Lenny fut un phénomène qui prit forme le 13 novembre 1999, donc en fin de saison, et qui adopta une trajectoire d’ouest vers l’est. C’est un phénomène qui s’intensifia dès le 15 novembre et qui était encore classé en ouragan de catégorie 3 à l’approche des îles du nord 4 jours plus tard. Même s’il perdit de son intensité après son passage sur les îles du nord, il adopta une trajectoire sud-est jusqu’à la latitude de la Dominique le 21 novembre, avant de finir son parcours destructeur dans l’Atlantique.

La Guadeloupe subira les effets violents périphériques du système dès le 17 novembre au matin avec la houle cyclonique de secteur sud-ouest à ouest dévastatrice sur la côte ouest de la Basseterre, puis le 19 au matin, avec des pluies diluviennes qui provoquèrent de grandes inondations notamment sur l’île de Grande-Terre. Pour exemple, le 17 novembre, les vagues cycloniques passaient par-dessus les îlets de la réserve Cousteau à Bouillante, ce qui donne une estimation de hauteur de vague de 10 à 13 mètres. Les dégâts sur la commune de Bouillante furent considérables, beaucoup de maisons situées sur la frange littorale ayant totalement disparu au cours de l’évènement.

En Martinique, la houle cyclonique atteint les 7 à 8 mètres, touchant principalement la côte Nord-Caraïbe et la commune de Saint-Pierre, envahissant la ville basse, défonçant les toits des maisons situées en front de mer et emportant la plage. Les conséquences économiques dues aux destructions furent très lourdes, notamment dans les domaines de la pêche, des sports nautiques et subaquatiques ainsi que dans l’hôtellerie et la restauration ; de nombreux restaurants et une partie des bungalows de l’hôtel du Marouba ayant été détruits.

Après le passage de Lenny, on releva 1 mort en Martinique et 5 morts en Guadeloupe. Deux facteurs peuvent expliquer le lourd bilan humain de ce phénomène pour la Martinique et surtout pour la Guadeloupe :

  • Son apparition tardive dans la saison qui participa sans doute au relâchement de l’attention des populations, et ce, malgré les alertes lancées par les services de Météo France,
  • Le fait que le centre dépressionnaire de l’ouragan était situé très loin au nord de ces territoires et que donc les populations ne se sentaient que peu concernées par l’effet le plus médiatisé des ouragans, le vent cyclonique

 

Houle de Lenny à la Dominique le 17 novembre 1999 – Crédit photo NEMO

 

L’ouragan Omar d’octobre 2008 : l’histoire se répète 9 ans après Lenny

Omar fut un puissant ouragan né le 13 octobre 2008 dans la mer des Caraïbes. Ce phénomène prit une trajectoire sud-ouest / nord-est, très atypique. Même s’il resta moins longtemps en mer des Caraïbes que Lenny, Omar généra une houle d’ouest très énergétique qui fit des dégâts aux constructions et infrastructures des franges littorales caraïbes des îles de l’archipel des Petites Antilles. Si ces dégâts furent moins importants que ceux constatés après Lenny, ils furent néanmoins significatifs, certains secteurs déjà impactés en 1999, puis réinvestis par les populations, étant à nouveau concernés en 2008.

Vue du front de mer de Roseau, capitale de l’île de la Dominique, le 16 octobre 2008 – Crédit photo NEMO

 

 Impacts des phénomènes à trajectoire atypique sur le cadre bâti

Les conséquences des débordements de ravines du fait des pluies extrêmes prolongées ou les conséquences de la submersion marine causée par des houles cycloniques très énergétiques sont toujours très spectaculaires. La submersion marine consécutive aux évènements Lenny et Omar s’est de surcroît produite sur les côtes ouest des îles des Petites Antilles, généralement non protégées par des barrières de corail.

Dans les deux cas c’est l’élément eau, souvent chargé en matières solides diverses, troncs d’arbres, cailloux, éléments de constructions… qui provoque les dégâts. Il y a donc dans ces phénomènes une combinaison de pression dynamique très importante et d’impacts localisés d’objets faisant office de véritables béliers.

Les phénomènes à trajectoires atypiques sont donc une menace avérée pour le bâti littoral des côtes Caraïbes des territoires de Guadeloupe et de Martinique.

L’adoption des Plans de Prévention des Risques Naturels dans les communes de Guadeloupe et de Martinique, au cours des deux dernières décennies, n’a que partiellement résolu la question de vulnérabilité du bâti littoral, puisque des zones inconstructibles sont en réalité encore urbanisées. Le recul du trait de côte va également mettre progressivement à risque des constructions qui aujourd’hui pourraient encore être épargnées par les vagues de submersion de ces phénomènes atypiques.

Dans un tel contexte, de tension foncière avec des populations qui veulent absolument occuper ces espaces à risque et de « pressions » exercées sur les élus locaux, la réduction de la vulnérabilité du cadre bâti pourrait ne pas concerner que la seule question de l’occupation des sols.  La réflexion pourrait alors se déplacer vers les professionnels du secteur, architectes, bureau d’études… pour imaginer des solutions d’habitat côtier moins vulnérables aux submersions marines, mais probablement beaucoup plus coûteuses.